• Le Siège Silencieux du Haut-Karabakh résonne au Parlement européen

Le Siège Silencieux du Haut-Karabakh résonne au Parlement européen

26 juillet 2023

Mardi 6 juin, le Parlement européen accueillait un événement au sujet du blocus dans le Haut-Karabagh, parrainé par le député François-Xavier Bellamy, avec en invitée d’honneur la jeune journaliste Lika Zakaryan, autrice de 44 Days : Diary from an Invisible War.

Des récits de (sur)vie des Arméniens du Haut-Karabakh

Organisé en partenariat avec l’UGAB Europe et L’Œuvre d’Orient, l’événement a rassemblé plus d’une centaine d’invités issus du milieu académique et politique. Dans son allocution de bienvenue, François-Xavier Bellamy a souligné sa volonté, à travers cet événement, de mettre l’accent sur les récits de vie et de survie des Arméniens du Haut-Karabagh, en commençant par celui de Lika Zakaryan qui a livré un témoignage poignant dans son journal de guerre en 2020. 44 Days : Diary from an Invisible War, a été adapté pour le grand écran à travers le documentaire Invisible Republic, réalisé par Garin Hovannisian et produit par Serj Tankian et Eric Esrailian. La projection d’extraits du film a été suivie par un échange avec la jeune journaliste.

Pour Lika, l’objectif du film, produit en 2022, était de sensibiliser un public plus large au sujet de la guerre des 44 jours, peu couverte dans les médias internationaux. « Si on continue de vouloir le montrer aujourd’hui, c’est surtout parce que cette guerre, malnommée, des 44 jours n’est pas finie. Elle continue sous diverses formes. », précise-t-elle.

Lika a évoqué également sa déception face à l’absence de réaction de la part de l’Union européenne pendant la guerre en 2020. Elle qui se considérait comme une pro-occidentale avant la guerre et croyait intimement aux valeurs de l’Europe, à la démocratie et à l’État de droit, a été profondément désillusionnée. « Les hommes en costume font des déclarations, mais quand vous êtes dans le sous-sol d’un immeuble, sous les bombes, ces déclarations ne vous réchauffent pas vraiment le cœur si aucune action ne suit », souligne-t-elle.

Pourtant, l’invitation du député européen François-Xavier Bellamy et la marque de soutien sincère et consistante qui lui a été démontrée au cours de l’événement l’a profondément émue. Et la journaliste de conclure son intervention par des remerciements sincères : « Merci à tous ceux qui sont venus aujourd’hui partager ce moment avec nous. Aujourd’hui, les habitants de l’Artsakh se sentent vraiment abandonnés. Savoir que quelque part des gens se réunissent et parlent d’eux, pensent à eux, se soucient pour eux, cela signifie déjà beaucoup. C’est là qu’un espoir peut naître ».

L’Union Européenne et la Russie : des intérêts divergents sur la région

La deuxième partie de l’événement a été consacrée à une table ronde visant à présenter la situation actuelle dans le Haut-Karabagh du point de vue politique, géopolitique, humanitaire et juridique.

Selon Gaïdz Minassian, journaliste au journal Le Monde, chercheur et enseignant à Sciences Po Paris, « il n’a pas été question, en 2020, d’une guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais d’une guerre entre le Haut-Karabakh et une coalition menée par l’Azerbaïdjan, incluant la Turquie et le Pakistan ». Il précise que l’Europe est directement concernée par ce qui se joue dans cette région de son voisinage oriental que l’on peut nommer « l’Europe caucasienne », ajoutant que les trois pays du Sud-Caucase font partie de la nouvelle Communauté politique européenne. Selon le journaliste, l’Union Européenne « cherche à établir la paix dans cette région pour en faire un vrai carrefour, une zone tampon qui puisse même participer à la transition écologique de l’Europe », tandis qu’à contrario, la Russie voudrait maintenir la région dans un cercle fermé (Russie, Turquie, Iran et Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). Pour lui, l’Europe n’a pas compris le problème du Haut-Karabakh ni les enjeux du président Aliyev dont « la politique aux accents racistes, fascistes et terroristes n’est pourtant plus à démontrer ».

Des outils juridiques pour atteindre la paix

Pierre d’Argent, Professeur de droit international à l’Université Catholique de Louvain, membre de l’Institut de droit international et Conseil de l’Arménie devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), a ensuite présenté l’affaire en cours qui oppose l’Arménie à l’Azerbaïdjan devant la CIJ, en soulignant d’emblée la pratique du whataboutism de l’Azerbaïdjan. Le professeur explique qu’à chaque fois que l’Arménie introduit une requête auprès de la CIJ, l’Azerbaïdjan contre-attaque immédiatement en introduisant une requête comparable de son côté.

Jusqu’à ce jour, l’Azerbaïdjan continue d’être en violation du droit international en ne respectant pas les ordonnances prononcées depuis 2021 dans l’affaire en cours, concernant notamment le déblocage du corridor de Latchin. Malgré cela, selon Maître d’Argent, ces ordonnances représentent « un organe de surveillance des Nations Unies pour faire en sorte que ce qui se passe là bas ne se passe pas complètement derrière un rideau que l’Azerbaïdjan voudrait le plus épais possible ».

Le député européen bulgare, Andreï Kovatchev, rapporteur permanent sur l’Arménie au Parlement européen, a présenté pour sa part les actions menées par le Parlement depuis la guerre des 44 jours en 2020, soulignant entre autres la résolution d’urgence au sujet de la situation des prisonniers de guerre en mai 2021 ainsi que la résolution concernant le blocus du corridor de Latchin en janvier 2023. Il a évoqué également les deux rapports annuels sur les relations de l’UE avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan adopté en mars de cette année, qui demandaient à l’Azerbaïdjan de limiter sa rhétorique de haine et qui appelaient à des mesures de renforcement de la confiance afin de pouvoir s’engager davantage dans un véritable processus de paix.

Enfin, Monseigneur Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient, a rendu hommage au peuple arménien : « Nous pensions que d’avoir subi de tels massacres et un tel génocide méritaient le droit de vivre respecté et en paix. Que dirions nous si d’autres peuples génocidaires, on en connaît, seraient de nouveau attaqués dans le même esprit ?

Mgr Gollnisch a souligné également la menace pesant sur le patrimoine culturel arménien du Haut-Karabakh et des projets de soutien menés dans la région par l’Œuvre d’Orient.

« De fausses négociations de paix en cours » 

Dans sa conclusion, François-Xavier Bellamy a évoqué « les fausses négociations de paix en cours » et a rappelé la nécessité pour l’Union européenne d’imposer des sanctions contre l’Azerbaïdjan : « Notre rôle, à nous Européens, c’est de faire en sorte que le crime cesse pour que la négociation commence. Comment peut-on considérer que l’Arménie négocie librement et souverainement avec l’Azerbaïdjan alors qu’elle est aujourd’hui en train de vivre directement ce chantage que constitue le blocage du corridor de Lachin ?  

Le député a ensuite rappelé que « le Parlement a pris des positions très claires depuis le début de la guerre. Malheureusement, ses positions n’ont pas été traduites ni par la Commission, qui considère Monsieur Aliyev comme un partenaire fiable, ni par le Conseil qui, malgré notre appel, n’a toujours pas enclenché de procédure de sanctions. »

Dans l’agora du Parlement européen à Bruxelles, une affiche géante aux couleurs de l’Ukraine arbore fièrement le slogan “No More Gas from Putin”. Difficile de ne pas ressentir l’absence d’une affiche voisine aux couleurs de l’Arménie qui clamerait “No More Gas from Aliyev”.

 

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