• Comprendre les racines de la violence au Moyen Orient

Comprendre les racines de la violence au Moyen Orient

15 décembre 2021

Le 7 octobre, le Centre du Patrimoine Arménien (CPA) à Valence, en France, accueillait une conférence de l’historien et politologue Vicken Cheterian, intitulée « Guerre, Génocide et Mémoire Aujourd’hui au Moyen-Orient ». Co-organisé par l’UGAB Europe, le CPA et l’UGAB Valence, la conférence visait à examiner les violences de masse observées au cours du XXème siècle jusqu’à nos jours, en Syrie, en Irak et en Turquie, afin de comprendre l’origine de ces violences et des divisions confessionnelles qui caractérisent la région encore aujourd’hui.

A l’occasion du centenaire du Traité de Versailles, en 2019, l’UGAB Europe obtenait le soutien du programme « L’Europe pour les Citoyens » de l’Union européenne pour la mise en place d’un projet visant à examiner l’héritage de la Première Guerre mondiale sur l’histoire du XXème siècle. Intitulé Ideas & their Consequences : Genocide and International Justice after 1919, le projet mené en partenariat avec la Lepsiushaus de Potsdam, EUJS et Phiren Amenca, a permis la tenue d’une conférence internationale à Berlin, durant l’été 2021. La rencontre à Valence visait à disséminer certaines réflexions présentées lors de cette conférence, notamment sur les conséquences des divers traités de paix, signés entre 1919 et 1923, sur l’Europe et son voisinage, ainsi qu’au Moyen-Orient.

La présentation de Vicken Cheterian nous rappela que, dans ces années d’après-guerre, le Moyen-Orient vit ses frontières se redessiner, passant d’un régime impérial ottoman à l’émergence d’États-nations laïques calqués sur des modèles occidentaux. Il mit en avant le fait que ces États émergents construisirent leurs histoires nationales sur la base de récits en rupture totale avec leur passé ottoman. Or, selon Cheterian, afin de comprendre la situation de ces pays aujourd’hui, il est indispensable d’examiner les liens multiples qui les rattachent à leur passé ottoman.

Considérer l’histoire ottomane de ces nations modernes, c’est aussi reconnaître la pluralité de leur population et se rappeler que l’empire ottoman était constitué d’une population issue de diverses identités ethniques et religieuses. Si cette pluralité n’était pas fondée sur un système égalitaire, elle était néanmoins reconnue et tolérée. Comme le rappelle Cheterian, après la Première Guerre mondiale, « l’élite politique à la tête des États émergents de la région ont imposé une identité unifiée sur leurs populations pourtant plurielle. Il s’agissait d’imposer l’idée de la nation turque, de la nation syrienne, de la nation irakienne ».

Cheterian poursuivit sa présentation en expliquant le rôle central tenu par l’armée dans la construction des États modernes de Turquie, de Syrie et d’Irak, précisant que les officiers des premières armées nationales syriennes, turques et irakiennes étaient souvent d’anciens officiers ottomans. Dans le cas de la Turquie, il ajouta que l’armée qui commis le premier génocide du XXème siècle jeta également les bases des États émergents du Moyen-Orient. Ainsi, les auteurs du génocide devinrent les fondateurs des États modernes post-ottomans. Comme le souligna Cheterian, « dans l’historiographie officielle, ces criminels continuent d’être célébrés comme des héros nationaux, justifiant ainsi la violence de masse dont souffre aujourd’hui l’ensemble du Moyen-Orient ». 

Selon Cheterian, afin de comprendre ce qui se joue au Moyen-Orient aujourd’hui, il est indispensable d’examiner l’histoire ottomane qui a précédé et considérablement influencé la construction des États modernes dans la région. Ceci signifie également reconsidérer la place très limitée qu’on accorde habituellement à l’histoire du génocide de 1915 lorsqu’on examine l’histoire de la région. Comme Cheterian le rappela justement, « il est impossible de comprendre ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient si l’on censure l’histoire des Arméniens et si l’on ne considère pas le génocide arménien pour ce qu’il est : un crime de masse d’une ampleur considérable, sans aucune conséquence pour ses auteurs et dont les ramifications dans la région seront pourtant profondes et durables ».  

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