avril 01, 2022
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Le camp Nairi de l'UGAB : un endroit réconfortant pour les enfants victimes de la guerre

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    nairi nam 2022

À l'automne 2020, l'Arménie et l'Azerbaïdjan se sont affrontés sur le sort de la région du Haut-Karabakh, pour la troisième fois depuis l'effondrement de l’URSS il y a 30 ans. Les combats ont fait des milliers de morts parmi les militaires arméniens et ont obligé de nombreux civils à quitter leur foyer, les dépossédant de tous leurs biens et provoquant une nouvelle crise humanitaire dans la région. De nombreux enfants ont dû eux aussi quitter leur terre natale et ont souffert de la perte d'un proche. Certains ont vu un être cher rentrer avec un handicap physique et des cicatrices psychologiques et émotionnelles très vives.

C'est pourquoi en août 2021, l'UGAB a mis en place le camp Nairi afin de soutenir et aider les enfants victimes de la guerre. Ce camp de vacances, pour les enfants âgés de 7 à 13 ans, a accueilli pas moins de 200 enfants, lors de deux sessions. Ils ont ainsi profité du cadre exceptionnel mis à leur disposition, loin des horreurs de la guerre et du chaos, et ont reçu l’aide nécessaire dans leur processus de guérison psychologique.

L'inspiration

Confrontée à la nécessité de venir en aide à cette nouvelle génération d’enfants victimes de la guerre, l'UGAB a travaillé sur ce projet de camp d’été dès le mois d’avril 2021, afin de permettre à ces jeunes d’avoir accès à des soins psychologiques, encadrés par des thérapeutes, et de pouvoir profiter d'activités culturelles, sportives et éducatives.

La mise en place en place de ce camp, en cinq mois seulement, a été rendue possible grâce à l’expertise de Herminé Duzian, directrice des programmes jeunesse de l’UGAB en France et en Arménie. Le premier objectif a été d’identifier les enfants susceptibles de participer au camp et de rencontrer leurs parents, afin d’établir un lien et une confiance avec les équipes de l’UGAB, dans un moment de deuil très difficile.

Un environnement idéal

S'étendant sur une superficie de 25 hectares au pied des montagnes de Hankavan, au nord de l'Arménie, le complexe abrite plusieurs bâtiments comprenant trois dortoirs, un réfectoire pouvant accueillir 350 personnes, une infirmerie avec un médecin disponible 24 heures sur 24 et de nombreuses autres commodités. Avec ses terrains de football et de basket, sa piscine extérieure et son amphithéâtre en plein air, le camp offre un cadre parfait pour ces enfants à la recherche de réconfort et d’activités récréatives.

L’équipe de 12 personnes, composée d'animateurs hautement qualifiés et issus des meilleures universités d'Arménie et d'Artsakh, a été formée en amont pour répondre aux besoins complexes de ces enfants. Des éducateurs des centres de jeunesse de l’UGAB de Sainte-Etchmiadzine étaient également présents pour animer des cours de danse, de poterie et d'autres activités adaptées aux enfants et propices à l'expression personnelle.

Disposant d'un bâtiment entier, le Camp Nairi a accueilli des enfants d'Arménie et d'Artsakh, y compris de territoires concédés depuis à l'Azerbaïdjan. Les enfants, au nombre de 100 par session, ont été groupés par âge et par sexe.

Faire face à des situations douloureuses

L’équipe du camp a dû faire face à des moments difficiles, en particulier lorsque les enfants étaient sujets à des angoisses nocturnes. Il était difficile pour les responsables de faire face à ce désarroi, trouver les mots réconfortants et adopter les bons gestes. « C'était de loin le camp le plus sensible à diriger », admet Herminé Duzian, directrice du camp.

Au cours de ce processus, il est apparu que l'état d'esprit des mères exerçait une influence significative sur le bien-être émotionnel de l'enfant. Durant la phase d'admission, la rencontre avec les enfants, leurs mères et leurs grands-parents - jamais les pères - a eu un impact fort sur la directrice. « J’ai même pensé ne pas m’en sortir et ne pas avoir les épaules assez larges pour affronter cela. Je n’y étais pas du tout préparé », explique Herminé, dont l’émotion est encore très forte aujourd’hui.

Certains enfants ne s’autorisaient pas à profiter de la nourriture préparée pour eux, par peur de devoir faire face au manque une fois rentrés chez eux. Parmi eux, Abraham, huit ans. Son père Zohrab, 36 ans, engagé depuis dix ans dans l'armée arménienne, a été tué par l'explosion d'un missile alors qu'il évacuait un collègue militaire de la ligne de front dans les hautes montagnes de Kelbajar, au nord de l'Artsakh. La mère d'Abraham, Haykuhi, se souvient encore des cauchemars de son fils après avoir touché le corps froid de son père lors de la veillée mortuaire. « J'ai accepté de laisser partir au Camp Nairi car je savais qu’il en avait besoin et que là-bas, on s’occuperait bien de lui », nous raconte-t-elle.

Guérir les cœurs meurtris

Suivant les conseils des membres du Conseil Central de l'UGAB, Herminé Duzian a fait appel à deux psychologues de la diaspora et d'un représentant de l'Église arménienne afin de venir en aide aux enfants et leur permettre de retrouver la foi à la suite d’un traumatisme.

Les deux psychologues bénévoles ont passé jusqu'à six heures par jour avec les différents groupes d'enfants, afin qu’ils puissent retrouver une forme de bien-être psychologique.

L'un des nombreux exercices des enfants consistait à colorier des cœurs avec la couleur traduisant leur état émotionnel du moment. « Le noir, c’est la peur. Le bleu, le chagrin. Il y a le rouge pour la colère, le jaune pour la joie et d'autres couleurs pour transmettre les différentes émotions ressenties », nous explique Keghani Mardikian, spécialiste des troubles de stress post-traumatique et bénévole au Camp Nairi.

Au cours des premières sessions, la plupart des cœurs étaient noirs ou bleus. Grâce aux séances de thérapie de groupe et individuelles pouvant durer jusqu'à deux heures, le tableau a changé. « Les parents apprennent aux enfants à cacher leurs émotions. En créant un environnement de confiance, ils ont appris à reconnaître leurs émotions, à y faire face et à donner un sens au sacrifice consenti par leurs pères et leurs frères », nous raconte-t-elle.

Anna Baronian, spécialiste des traumatismes chez les enfants, met cependant en garde : « Certains enfants risquent de retarder l'expression des symptômes du traumatisme et donc de retarder leur propre guérison ». Elle note que les séances thérapeutiques étaient appréciées des enfants et les ont aidés à s'équiper de mécanismes pour gérer l'anxiété, la colère et le chagrin liés à la perte d’un proche.

Prochaine édition

Des travaux sont en cours de réalisation pour la prochaine édition du « meilleur camp d'Arménie », selon les mots du petit Abraham. Des plans sont également en cours d'élaboration pour financer le travail des psychologues, qui continueront à soutenir les familles les plus durement touchées par la guerre. « Nous avons aidé les enfants du mieux que nous pouvions. Mais pour que cette aide soit durable, nous devons nous attaquer à la source du problème. Il faut aider les mères à accepter que, malgré la perte tragique de leurs maris ou de leurs fils, elles doivent rester fortes pour leurs enfants », nous explique Herminé Duzian. Un programme d'aide alimentaire et vestimentaire pour les plus démunis est également en préparation.

Pour la mère d'Abraham, les programmes de l'UGAB sont une source d'espoir. "Comme mon fils, j’ai besoin d’un soutien et d’un suivi psychologique. Participer aux initiatives de l’UGAB est une chance », déclare-t-elle.

Cet article a été publié dans les Nouvelles d'Arménie Magazine n°294